Renefer (1879-1957)
Renefer a marqué son époque dans l'illustration par la subtilité de son trait, qu’il ait recours à l’eau-forte ou à la xylographie pour accompagner les plus grands écrivains – Henri Barbusse, Rudyard Kipling, Colette, Pierre Loti... Il a participé au renouveau du livre au sein de collections célèbres dont « Le Livre de demain » chez Arthème Fayard ou encore comme directeur artistique de la maison Flammarion. Une œuvre importante.
Dès sa jeunesse, les dessins de Renefer sont remarqués par les éditeurs. Ce seront ses premiers cachets d’artiste !
L'artiste évolue dans le domaine du théâtre et illustre les articles publiés dans "Le Monde Artiste" dans les années 1910, croquant les artistes sur scène. Ces portraits, réalisés dans la pénombre, sont stupéfiants de ressemblance et de modernité ! Tous les acteurs y passent, ainsi que dans leurs habits de scène. Un vrai défilé. Nous connaissons encore peu de choses sur les liens qui unissent Renefer au monde de la scène.
Les éditeurs comme Fayard, Ferenczi ou Flammarion ont su créer des collections considérées aujourd'hui comme les ancêtres du Livre de Poche. Parmi les collections representatives, Renefer participe dans ses collaborations pour:
Mais Renefer ne s'arrête pas à l'illustration de quelques couvertures, frontispices ou culs-de-lampe ; il s'investit dans le développement des livres illustrés, notamment avec la création du Prix Gustave Doré au sein de l'École ABC – si bien nommé le Goncourt des Illustrateurs – ainsi que dans l'essor du « Livre de Demain » et des collections illustrées chez Flammarion.
Renefer s’affirme dans la gravure sur bois, une technique qu’il apprécie pour son trait simplificateur et épais, ainsi que pour le jeu des motifs nécessaires au rendu des atmosphères. Son traité intitulé La Gravure sur bois en 12 leçons, publié en plusieurs livraisons de 1932 à 1936 (éd. École ABC), sera d’ailleurs lu et appliqué par des centaines d’artistes graveurs et contribuera au succès de la gravure sur bois comme moyen d’illustration entre 1920 et 1930 « Parmi les procédés de reproduction de dessins destinés soit à l’estampe, soit à l’illustration de volumes, la gravure sur bois est un des plus éloquents. Son écriture franche, sa clarté, la belle expression des blancs et des noirs, sa parenté avec le caractère d’imprimerie la prédestinaient tout particulièrement à l’illustration, à l’orne- mentation des livres », y écrit-il.
Pas moins de dix éditeurs parisiens feront appel à Renefer. Parmi ses plus belles réalisations, citons Le Feu de Barbusse et La Maison du péché de Marcelle Tinayre, chez Boutitie, Le Cabaret d’Alexandre Arnoux, chez Lapina, ou La Vagabonde de Colette, chez Hachette.
L’ouvrage renfermant le plus grand nombre de gravures sur bois de Renefer (136, consacrées à la Bretagne et la Marine) est l’édition rare de Mon frère Yves de Pierre Loti parue en 1927 au Livre Contemporain (120 exemplaires hors commerce – une première belle ré-édition en fac-similé a été réalisée en 2020 par les éditions Bleu autour, voir page Éditions Disponibles).
En 1922, Arthème Fayard fait appel à lui pour illustrer Gaspard, Les soldats de la guerre, de René Benjamin (prix Goncourt 1915), premier titre d'une grande collection populaire, « Le Livre de Demain », où il mettra en valeur une dizaine d’autres œuvres signées Marc Elder, Myriam Harry, Henri Bordeaux ou Marguerite Audoux.
En 1927, le patron de Flammarion, Max Fischer, l’appelle comme directeur artistique. Pendant dix ans, il développe chez cet éditeur la production de livres illustrés dans plusieurs collections.
Renefer aime profondément le beau livre, il fait partie de ces artistes pour qui l’art est à tous et pour tous. Le nombre d'ouvrages illustrés par l'artiste se compte en dizaines (peut-être 50), et sa participation à l'élaboration de beaux livres illustrés par centaines.
"Renefer Illustrateur" dans Art et Métiers du Livre n°349 mars/Avril 2022 (vidéo)
Dessin pour Pépète, le bien aimé, ed. Fayard
Eau- forte pour "La Cabaret" d'A.Arnoux, Ed. Lapina 1927
GASTON BOUTITIE
Durant sa carrière, Renefer utilise son talent pour illustrer des moments forts de l’Histoire. Après l’immense succès du Feu d’Henri Barbusse, prix Goncourt 1916, l’éditeur parisien Gaston Boutitie qui se situe Place de la Madeleine, obtient l’accord de Flammarion pour réaliser la première édition de ce récit accompagné de 10 eaux-fortes originales de la main de Renefer et de 76 dessins transposés sur bois par Eugène Dété, le graveur attitré de l'éditeur. Imprimé sur un très beau papier de Rives à la forme en mai 1918 à seulement 300 exemplaires grand format (30 x 25 cm), ce magnifique ouvrage, avec ses 86 compositions, est la première œuvre marquante de l’artiste. (voir page "14-18, La Grande Guerre")
Au lendemain de la Guerre Gaston Boutitie fait à nouveau appel à l'artiste pour beaux Livres :
- Bourbouroche de G.Courteline, illustré de 30 compositions en camaïeu de Renefer (1919)
- La Grèce du Soleil et des Paysages de L.Bertrand pour illustrer de 89 dessin d'après nature dont 10 en couleur de Renefer (1920)
- La Maison du péché de Marcelle Tinayre, illustré de 59 gravures sur bois dont 8 hors texte en couleurs de Renefer (1922)
Bois Couleur pour La Maison du péché
Dans son Traité de la gravure sur bois en douze leçons, Renefer consacre la neuvième, intitulée « Application de la gravure à l'illustration », à la réalisation de Mon frère Yves. L’éditeur Ernest de Crauzat qui le sollicite possède dès l’abord, rapporte-t-il, une idée nette de l’ouvrage projeté. Outre les caractéristiques techniques du livre (dimensions des pages intérieures, justification du texte), il lui indique le « la » de sa mission : « Notre illustration devra être en corrélation parfaite avec cette littérature lucide et simple. Il nous faudra, sans artifice, sans truculence, exprimer en images sensibles, vivantes, l’âme du beau pays breton, le caractère de son peuple, la puissante immensité de la mer, la vie du marin. »
« La nature se suffira à elle-même »
En vue de la conception de ces images, dont le frontispice, les bandeaux et les culs-de-lampe, l’artiste doit d’abord réunir « une documentation aussi précise et détaillée que possible » : croquis pris sur le motif, photographies et précis ou archives propres à le renseigner, par exemple sur la Marine ancienne.
Il doit aussi et surtout se pénétrer de l’œuvre, qui fécondera sa réflexion et son imagination : « Le chapitre XVII nous relate la promenade qu’accomplissent Loti et Yves Kermadec pour aller visiter les oncles, les cousins, les amis d’enfance. C’est la marche à travers la campagne bretonne, par journée d’hiver empreinte d’une immense nuée grise… L’auteur en décrit de manière poignante toute la mélancolie qui pèse tant au cœur, non sans charme et poésie toutefois. Voilà précisément ce qui retient notre attention et comme nous aurions de la joie à exprimer un coin de terre bretonne mouillée par la bruine… Est-il besoin d’y faire figurer les 2 personnages ? Non point. La nature se suffira à elle-même, ne soyons pas anecdotique s’il nous est possible de faire autrement. »
Renefer explique aussi par quel cheminement il en est venu à associer sur le frontispice la mer et la Bretagne : « Pourquoi ne ferions-nous pas un beau dessin de la pointe du Raz que nous graverons en fac-similé rudement et largement. Nous aurions là un frontispice qui remplirait bien son office. Qui ne connaît ce coin sauvage, ô combien, de la terre bretonne. C’est la lutte de deux éléments, c’est l’opposition de deux puissances, l’une statique, l’autre dynamique. C’est la force dans ce qu’elle a de plus noble, de plus inexorable. Alors traitons notre sujet en conséquence de cela. Un dessin rude par des plans affirmés et de l’échelle pour que ce soit grand. »
« Des bois très poussés au noir »
L’auteur s’attarde enfin sur les culs-de-lampe qui, d’apparence parfois anodine, n’en requièrent pas moins un long travail : « Dans bien des cas, le sujet sera d’une grande simplicité, soit qu’il montre un attribut (objet régional, fleur, joyau, etc.), soit qu’il représente une tête, un animal, etc. Mais si la place qu’il doit occuper est importante il remplira son office au même titre qu’une illustration courante. Il pourra alors comporter une scène, un paysage, un intérieur, une marine, etc. »
Et de prendre l'exemple du cul-de-lampe du chapitre 47 : « Il nous reste en bas de page une hauteur utilisable, pour le dessin, de 8 cm. Il y est question pour terminer ce chapitre de deux vieilles, deux pauvresses qui passent sur la route en se donnant le bras, appuyées sur des bâtons. Elles entrent dans la maison pour dire la bonne aventure au petit Pierre. Choisissons, comme sujet de cul-de-lampe, les deux vieilles sur la route plutôt que dans la maison ; ce dernier motif serait un peu compliqué pour la grandeur de la composition. »
Renefer, qui puise alors dans sa documentation une esquisse de deux vieilles Bretonnes, poursuit : « Nous allons pousser cette ébauche – du point de vue de la construction – par un travail fouillé sur lequel nous poserons un papier calque afin d’en tirer un croquis ou dessin clair. Laissons à notre croquis cette valeur claire pour en faire un fac-similé de dessin au trait qui ne charge pas la fin de page sur laquelle il prendra en gravure sa place. […] La typographie, par ses variétés de caractères, offre au regard des pages plus ou moins denses en couleur, il pourrait être regrettable de juxtaposer des bois très poussés au noir avec une typographie grêle et grise et vice-versa. »
L’éloge du commanditaire
Puis vient l’étape de la gravure : on se bornera ici à souligner l'effort et la précision de la main que suppose le maniement du burin sur le bois d'une extrême dureté. De la première lecture du roman de Pierre Loti à la réalisation des gravures sur bois dues à Renefer lui-même, on peut estimer que près de trois années ont été nécessaires à cet artiste, dont l’œuvre a été chaleureusement saluée par son commanditaire, Ernest de Crauzat : « L'époque à laquelle se déroulent les événements racontés par Loti ne permettait pas à l'artiste de sacrifier à des fantaisies et manières trop modernes qui eussent détonné dans l'atmosphère du livre. Il n'a donc ni traité ses bois au couteau, ni demandé à des oppositions de blanc et de noir des effets trop violents. Sans pour cela tomber dans ce qui était fait au siècle dernier, il a taillé ses bois en douceur avec des recherches délicates de valeurs et de demi-teintes – certains mêmes extraordinaires au point de vue technique – qui donnent à ses images tant de charme et d'agrément. »
Retrouvez l'article complet sur la réalisation des Gravures pour Mon Frère Yves de Loti, dans la très belle édition Bleu Autour - voir les éditions disponibles
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